Le désir peut, dans un premier temps, apparaître comme essentiellement impossible à satisfaire. Mais, d'un autre côté, si nous n'avions plus rien à désirer, ne sombrerions-nous pas alors dans une forme d'incapacité à être ? N'éprouver de désir pour rien, cela ne constitue-t-il pas le symptôme de ce que nous pouvons considérer comme un état dépressif ? Bref, le désir n'est-il pas, d'abord, une puissance de vie ?
Extrait :
Proposition 6 : Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être. [...]
Proposition 7 : L'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien en dehors de l'essence actuelle de cette chose. [...]
Proposition 9, scolie :
Cet effort, quand il se rapporte à l'Âme seule, est appelé Volonté ; mais, quand il se rapporte à la fois à l'Âme et au Corps, est appelé Appétit ; l'appétit n'est par là rien d'autre que l'essence même de l'homme, de la nature de laquelle suit nécessairement ce qui sert à sa conservation ; et l'homme est ainsi déterminé à le faire. De plus, il n'y a nulle différence entre l'Appétit et le Désir, sinon que le Désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu'ils ont conscience de leurs appétits, et peut, pour cette raison, se définir ainsi : le Désir est l'Appétit avec conscience de lui-même. Il est donc établi par tout cela que nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n'appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons.
SPINOZA, Éthique, IIIe partie, tr. Appuhn, Garnier Frères, 1913, p. 269-274.
Questions :
1. Que signifie le fait que chercher à "persévérer dans son être" soit, pour chaque chose, "l'essence actuelle de cette chose" ?
2. Expliquez en quoi le désir constitue bien l'essence de l'homme, en prenant soin d'en produire une définition précise.
3. De ce fait, le désir qui nous pousse vers une chose est-il commandé par cette chose ? Existe-t-il, selon l'auteur, des objets désirables en soi ?
Or, quand bien même le désir est puissance de vie, est-il bien en notre pouvoir de le maîtriser ? Ne serait-il pas illusoire de croire pouvoir par ce biais travailler à notre bonheur ?
Extrait :
[...] l'expérience l'a montré surabondamment, rien n'est moins au pouvoir des hommes que de tenir leur langue, et il n'est rien qu'ils puissent moins faire que de gouverner leurs appétits ; et c'est pourquoi la plupart croient que notre liberté d'action existe seulement à l'égard des choses où nous tendons légèrement, parce que l'appétit peut en être aisément contraint par le souvenir de quelque autre chose fréquemment rappelée ; tandis que nous ne sommes pas du tout libres quand il s'agit de choses auxquelles nous tendons avec une affection vive que le souvenir d'une autre chose ne peut apaiser. S'ils ne savaient d'expérience cependant que maintes fois nous regrettons des actions et que souvent, quand nous sommes dominés par des affections contraires, nous voyons le meilleur et faisons le pire, rien ne les empêcherait de croire que toutes nos actions sont libres. C'est ainsi qu'un petit enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon en colère vouloir la vengeance, un peureux la fuite. Un homme en état d'ébriété aussi croit dire par un libre décret de l'Âme ce que, sorti de cet état, il voudrait avoir tu ; de même le délirant, la bavarde, l'enfant et un très grand nombre d'individus de même sorte croient parler par un libre décret de l'Ame, alors cependant qu'ils ne peuvent contenir l'impulsion qu'ils ont à parler ; l'expérience donc fait voir aussi clairement que la Raison que les hommes se croient libres pour cette seule cause qu'ils sont conscients de leur action et ignorants des causes par où ils sont déterminés.
SPINOZA, Éthique, IIIe partie, Proposition 2, scolie, trad. Appuhn, modifiée, Garnier Frères, 1913, p. 262-263.
Questions :
1. Quelle croyance fausse cet extrait remet-il, massivement, en question ?
2. Pourquoi l'opinion commune différencie-t-elle les désirs selon leur intensité ? Que s'autorise-t-elle à conclure de cette différence ?
3. Analysez et expliquez les exemples pris par Spinoza dans cet extrait :
a) le nourrisson qui désire du lait ;
b) l'ivrogne qui désire boire ;
c) le bavard, qui désire parler.
4. Si le désir est bien la conscience d'un appétit, peut-on dire que le nourrisson, l'ivrogne et le bavard sont conscients de ce à quoi ils tendent ?
5. Pour autant, de quoi ne sont-ils pas conscients ?
6. Que signifie, en termes de liberté, le fait que des "causes" déterminent tout désir ?
7. De ce fait, selon cet extrait, avons-nous le moindre pouvoir de commander à nos désirs ?
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